Avril 2015
C’était un dimanche après-midi pendant la saison sèche. Indo marchait à Château 1, quartier touristique de Niamey. Le long de la route goudronnée, les artisans, les marchants de pintades et les vendeurs de cigarettes le saluaient. Ce grand peul, vêtu d’un magnifique boubou bordeaux et d’un magistral chech blanc cherchait quelqu’un à qui vendre ses bricoles. Son sac en était rempli : broderies, bracelets, khôl traditionnel et objets anciens. C’est ainsi que je l’ai rencontré. Je buvais un thé avec son frère lorsqu’il a demandé à se joindre à nous et m’a proposé de lui acheter une théière décorée de cercles d’argent. « Nous, les Woodabés, nous décorons nous même nos théières. Chaque année, nous faisons des concours pour déterminer la plus belle d’entre toutes », déclara-t-il. Les Woodabés constituent le peuple peul majoritaire au Niger. On les appelle aussi les Borroros. « Mais cela, ça ne nous fait pas plaisir », m’expliqua Indo. « Borroro c’est une race de vache ! ».
À l’origine, les Woodabés sont un peuple nomade. Mais aujourd’hui, la sècheresse en oblige plusieurs à venir s’installer à Niamey. Ils y vendent des bijoux pendant plusieurs mois puis retournent en brousse pour apporter de l’argent à leur famille. En attendant d’avoir gagné suffisamment, ils vivent dans la périphérie de la ville.
Quelques mois sur trois paillasses
Indo, lui, habite avec des amis à Koubia Kayna, devant une maison non achevée. « La maison est occupée par des Zarma. Nous, nous n’avons pas assez d’argent pour payer un loyer alors nous vivons dehors », m’explique Indo en me montrant le lit de camp et les trois paillasses qui constituent leur unique mobilier. Indo vit là avec une vingtaine de personnes et quelques poules. « Avant, aucun peul ne vivait dans la ville », m’explique un vieillard. « Si un enfant entendait une voiture, il avait peur et partait se réfugier dans la forêt. Ici, il y a trop de bruit pour nous et pas assez de liberté ». « Nous avons vu la sècheresse décimer nos troupeaux », renchérit un chef de village de passage pour vendre quelques bijoux. « Quand j’étais petit, les plus pauvres d’entre nous possédaient une centaine de vaches. Aujourd’hui, ils n’en ont plus que dix », poursuit-il.
Lorsqu’Indo aura amassé assez d’argent pour acheter une bête et payer le voyage du retour, il retournera retrouver sa famille, en brousse.
En attendant l’école
C’est à Assakamar, que les deux femmes d’Indo et ses enfants l’attendent. Ce « village » est constitué d’une école, de trois maisons vides et de quelques tentes le long du goudron. La ville la plus proche est à 90 kilomètres de là. Les Woodabés ont commencé à se sédentariser à moitié pour que les enfants puissent aller à l’école. « Une partie de notre groupement vit ici avec les enfants pendant que les autres marchent de pâturage en pâturage pour nourrir le bétail », m’explique le chef de village. « En attendant le retour des autres, nous tissons des tapis, créons des bijoux et décorons des calebasses », ajoute Ténéré, la première femme d’Indo. Une partie de ces objets sera vendue à Niamey, l’autre sera présentée lors des concours. « Nous faisons beaucoup de concours entre Woodabés : celui de la plus belle calebasse, de la plus belle décoration, des plus belles tresses, etc. », poursuit la jeune femme.
L’amour à la woodabée
Ces concours s’organisent souvent pendant la cure salée, à la fin du mois de septembre. Pendant deux semaines, Touaregs et Woodabés se rassemblent dans la région d’Agadez pour nourrir le bétail de sel. C’est aussi à ce moment-là que de nombreux mariages sont arrangés et célébrés. « Lorsqu’une famille veut marier sa fille, ils s’arrangent avec les parents d’un jeune homme. Chacun offre un animal comme un bœuf ou un mouton. Au cours du mariage, les animaux sont offerts et consommés à la gloire des époux », explique Indo. Une fois la cérémonie terminée, la jeune fille partira avec la famille de son nouvel époux. Mais beaucoup de Woodabés se marient aussi par amour. C’est le cas de Ténéré et d’Indo. Ils se sont rencontrés lors d’une cérémonie et se sont aimé pendant plusieurs mois avant de se marier. Ténéré n’a jamais enfanté. C’est pour cette raison qu’Indo s’est marié une seconde fois. Sa deuxième femme, Labi Sali, lui a donné cinq enfants.
La nuit tombe sur le campement et nous nous rassemblons pour boire un thé. « À la saison sèche, ce sont les hommes qui préparent le thé », m’explique Indo. « Les femmes ont trop de travail maintenant. Elles doivent partir tous les matins avec les ânes pour aller puiser de l’eau. À la saison des pluies par contre, ce sont elles qui le préparent. La vie émerge de partout en même temps et les femmes ont plus de temps à nous consacrer ».
Après le repas, Indo m’apprend le nom des étoiles. Les Woodabés en ont un pour chacune d’entre elles. Elles leur permettent de se diriger dans la brousse ou le désert, mais aussi de connaître la date, l’heure ou le nombre de jours avant la saison des pluies.
Au festival de l’Aïr
Je retrouve Indo quelques jours plus tard, au festival de l’Aïr. Ce festival a été créé il y a 15 ans par un chef de la rébellion touarègue. L’objectif était de promouvoir une culture qui était sur le point de disparaître. « Nous, les Woodabés aimons beaucoup nous rendre au festival de l’Aïr », m’explique Mouhamadou, un festivalier. « C’est une rencontre culturelle où nous pouvons aussi nous exprimer et puis cela nous permet de revoir des parents que nous n’avons plus vus depuis un ou deux ans ».
Mouhamadou me montre les campements peuls sur le site. Les Woodabés sont là, occupés à se préparer dans des dizaines de tentes multicolores. Des fils à linges ont été installés entre les arbres, et devant chaque tente, un tapis, sur lequel les hommes discutent en préparant du thé. Beaucoup de jeunes hommes repassent en vitesse au camp, pour rajuster une plume à leur turban ou remettre du maquillage. Car, juste à côté de là, loin des cérémonies officielles, les Woodabés ont organisé une dance des yeux. Une petite centaine de jeunes hommes forment un cercle. Ils sont réunis par groupement et se distinguent par leurs vêtements et leur maquillage. Certains ont le visage recouvert de pigments jaune ou orange. D’autres ont fait ressortir certaines parties de leur visage au khôl. « L’objectif, c’est de faire ressortir la blancheur de leurs dents et de leurs yeux », m’explique Mouhamadou. « Tu vois, ils chantent en tapant des mains et les jeunes filles passent entre eux pour élire le plus beau. Tu peux être sûre qu’il rentrera bien accompagné ce chanceux ! », ajoute-t-il.
À la fin du festival, les Woodabés rentreront chacun de leur côté. Direction Niamey, le village ou les pâturages, à chacun sa besogne, à chacun son rôle.